Spectacles


NOVABOT.

DIALECTIQUE DU CORPS EN SCÈNE ET DE SON IMAGE FRAGMENTÉE


Faudra un jour qu’un acteur livre son corps vivant à la médecine,

qu’on ouvre, qu’on sache ce qui se passe dedans, quand ça joue.

Qu’on sache comment c’est fait, l’autre corps.

Valère Novarina

Depuis le terrain d’exploration offert par une recherche doctorale, Youssra Mansar tente de prendre au mot ces paroles de Novarina – et à revers : ou comment opérer une ouverture du dedans de l’acteur par le dehors de l’image que le théâtre offre de lui – et si le théâtre était cette opération à cœur ouvert exposé du corps ? 

La jeune chercheuse et metteuse en scène propose, à mi-parcours de ses recherches, un état de son travail et de ses hypothèses mises à l’épreuve de la scène. Pour cela, un dispositif tout à la fois spectaculaire et d’une élégance plastique élaborée à partir de captations en direct faites depuis une caméra ne s’attachant qu’à des fragments du corps, un dirigeable robotisé et un drone quadrimoteurs et de prélèvements de données physiologiques de l’acteur, veut approcher au plus près de ce moment – et de ce lieu – d’élaboration du mot. C’est le surgissement de l’acteur qui se donne à voir, au cours d’une singulière expérience où la technologie à force de se déployer disparaît pour laisser place à ce « mystère de l’évidence » du corps glorieux d’un acteur arraché à la chair de l’homme qui lui donne naissance.

Mise en scène : Youssra Mansar
Acteur : Matteo Duluc
Danseuse : Cailtin Dailey
Texte : Valère Novarina

REQUIEM POUR UN CHIEN


Trois hommes – ou ne seraient-ils qu’un ? – évoluent autour d’une femme, liés par leurs souvenirs qui s’entremêlent. À travers les corps, les regards, les costumes, la femme subit, transgresse, s’assume. La scène et ses miroirs placent acteurs et actrice dans un dédale qu’il leur faut traverser ensemble. Ils y sacrifient leur corps, caisse de résonance de leur mémoire.

Des armes et des mots c’est pareil
Ça tue pareil
II faut tuer l´intelligence des mots anciens
Avec des mots tout relatifs, courbes, comme tu voudras

extrait de la chanson Le Chien, Léo Ferré
Mise en scène : Youssra Mansar
Scénographie : Caitlin Dailey

FÊTES DE FAIM DAMNÉES 


Illustration : Quentin Baine

Des soldats

Presque évanouis

Dans la froideur de la nuit et dans l’obscurité du soir

Sans vivres, presque sans vie, et surtout sans espoir

Au cœur de l’hiver

Restés las, sans repères, désormais sans défense

Remueront la poussière, combattront le silence

À en perdre la tête

Quelle veillée peut changer une insomnie en fête

Allumer les bougies, craquer les allumettes

Offrir un feu de bois, la chaleur d’un repas

Ramener en enfance, éloigner le trépas ?

Quelle musique fait chanter jusqu’à l’étourdissement

Et danser et rêver l’espace d’un instant ?

On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? À présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c’était arrivé.

extrait de Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline
Mise en scène : Youssra Mansar
Texte : Maureen Ferrus

AVANT QUE LA NUIT NE TOMBE



Illustration : Quentin Baine

Pour cette déambulation à la tombée de la nuit, la musique sera votre guide et les mots vos lanternes.

Marche festive ou danse macabre, une échappée à la rencontre d’êtres esseulés.

Vous irez, progressant au gré des voix qui perceront et des figures que vous croiserez.

errant comme des hommes sans rêves

peinant comme des râles se perdent

mourant comme des phrases vaines

Une flûte, enchanteresse ou funeste, fondra sur vous pour vous enserrer.

Une envolée aux frontières de l’obscurité.

J’ai cueilli ce brin de bruyère

L’automne est morte souviens-t’en

Nous ne nous verrons plus sur terre

Odeur du temps brin de bruyère

Et souviens-toi que je t’attends

L’Adieu tiré du recueil Alcools, Guillaume Apollinaire
Mise en scène : Youssra Mansar

EST-CE AINSI QUE LES HOMMES VIVENT ?



Illustration : Quentin Baine

Dans un décor évoquant un bar tamisé, des présences émergent en paroles et en musique. À la fois témoins et acteurs d’un moment d’errance, les instruments, les voix et le silence tentent de nous faire traverser la nuit.  

Tout est affaire de décors
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays


Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
je m’endormais comme le bruit


C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenait mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien

extrait de Bierstube Magie allemande, Louis Aragon
Mise en scène : Youssra Mansar

AIGUADE


© Juliette Jamet

Sur scène, le père, l’entreprise Nikhol, les méduses — chœur de quatre plongeuses —, une figure clownesque et Macha 11 ans. Comme des générations de femmes avant elle, la jeune fille plonge, selon la tradition, dans la mer pour aller entretenir la seule source d’eau douce de l’île. À travers ses apnées se forme le rêve d’une vie où se dessineraient tous les possibles. Son corps grandit, s’étire, devient élastique pour ne plus se heurter à l’horizon circulaire. Pour ce rêve, le comédien voltige, s’envole à travers la scène. Accompagné des quatre autres, il nous offrent, ensemble, un moment de poésie scénique.

Bleu barbeau / Azur / Bleu ardoise / Bleu bondi / Bleu ciel / Bleu céruléen / Bleu charrette / Bleu cobalt / Bleu de minuit /Bleu du sud / Bleu électrique / Bleu pétrole / Bleu horizon / Bleu Majorelle / Bleu maya / Bleu outremer / Bleu paon / Bleu persan / Bleu roi / Bleu turquin / Cyan / Fumée / Indigo / Pervenche / Klein / Pastel / Lapis-lazuli / Bleu guède / Bleu charron / Bleu des rizières / Bleu cendre / Bleu limite / Bleu peau / Bleu rêve / Bleu cirque / Bleu veste / Bleu faille / Bleu bordure / Bleu d’ailleurs / Bleu couture / Bleu phare / Bleu-noir / Bleu cygne

extrait de Poème bleu – Nikhol à la surface de l’eau, Samaële Steiner
Mise en scène : Youssra Mansar
Scénographie et costumes : Caitlin Dailey
Texte : Samaële Steiner

MACBETH


La violence est le passage critique de l’ordre au chaos. C’est sur cette notion que nous avons choisi d’axer notre travail sur Macbeth. La pièce, qui s’inscrit dans une musicalité très présente, est une fable déconstruite et un travail d’acteur tendu entre incarnation et défiguration. Tout au long du texte de Shakespeare, Macbeth devient l’instrument du violent. Notre spectacle s’attache à recréer cette avancée puissante et irrésistible du violent, dont la musique est le métronome.

Sois donc joyeuse. Avant que la chauve-souris n’ait pris son essor sous les voûtes, avant qu’à l’appel de la noire Hécate le scarabée n’ouvre ses ailes et ne sonne de sa rumeur lancinante le carillon nocturne du sommeil, un acte s’accomplira, aux terribles résonances. Viens, nuit qui couds nos paupières, aveugle l’œil tendre du jour compatissant et de ta main sanglante et invisible annule et déchire ce lien puissant qui cause ma pâleur. La lumière épaissit, le corbeau s’envole vers les siens dans la forêt ; tous les bienfaits du jour succombent au sommeil, les noirs prédateurs de la nuit sont en éveil. Mon propos te surprend, cependant ne dis rien : ce qui commence mal par le mal se soutient. Allons, je t’en prie, suis-moi.

extrait de Macbeth, William Shakespeare
Mise en scène : Matteo Duluc
Scénographie : Caitlin Dailey
Régie : Matthias Pichet
Texte : William Shakespeare
Traduction : Stéphane Braunschweig et Daniel Loayza

LA CERISAIE


À travers le regard tendre et multiple de figures tour à tour incarnées puis distanciées, notre Cerisaie se met à exister. Elle émerge dans l’édifice même du théâtre. Les acteurs sont des êtres du présent dont l’insertion dans le monde est en risque et en déséquilibre. Ils vivent une pause temporelle au sein de laquelle se prépare la tempête euphorique du changement.

Tout ce pays est notre Cerisaie. La terre est vaste et belle, il y a beaucoup d’endroits splendides. Il faut être un barbare sans conscience pour brûler dans son poêle toute cette beauté, pour ne pas admirer ce que nous ne pouvons pas créer. On est déjà en mai, les cerisiers sont en fleur mais il fait froid. Le brouillard du matin couvre la cerisaie. Les fenêtres de la chambre sont fermées.

extrait adapté de La Cerisaie, Anton Tchekhov
Mise en scène : Matteo Duluc
Scénographie : Caitlin Dailey
Régie : Matthias Pichet
Texte : Anton Tchekhov

SON EXCELLENCE


© Juliette Jamet

Le spectacle a comme point d’accroche un « Othman » serviteur de l’Etat zélé dont la dévotion religieuse ne peut s’exprimer que dans l’accomplissement d’une carrière. Il y sacrifie toute son existence. Animé par ce seul objectif, il ne s’intéresse aucunement aux changements politiques et sociaux qui s’annoncent. Ainsi le spectacle se situe dans un entre-deux, entre « Avoir l’air » et « Être ». Il donne à voir un échantillon d’humanité divisé, fragmenté, schizophrène et travaillé par son image. Sur un fond culturel égyptien, le singulier touche l’universel.

Elle fut sur le point de répliquer, mais j’avais déjà quitté la pièce. J’avançais lentement dans les rues étroites. J’admettais amèrement que je ne la reverrais plus. Mais malgré ma souffrance, je ressentis un soulagement secret et désespéré. La malédiction était sur moi désormais, je l’aimais et aucune autre ne comblerait le vide qu’elle laissait dans mon cœur. Je me sentais possédé par la folie, une folie sacrée qui fermait la porte du bonheur avec mépris et orgueil et qui me poussait sur le chemin de la gloire, bordé d’épines. Le bonheur me faisait pencher du côté du suicide, alors que le malheur m’incitait à désirer la vie et à l’idolâtrer. Et pourtant, comme c’est regrettable ! Je n’avais aimé qu’elle, mon cœur était mort depuis que je l’avais quittée. Mais ceux qui aspirent aux honneurs sur le chemin de Dieu n’ont que faire du bonheur.

extrait adapté de Son Excellence, Naguib Mahfouz
Mise en scène : Youssra Mansar 
Scénographie et costumes : Caitlin Dailey
Texte : Naguib Mahfouz  
Traduction : Rania Samara  


DRÔLE DE PRINTEMPS


© Hugo Gaignebet

Des éclosions successives, une fresque d’individus en conflit avec eux-mêmes et avec les autres, aux pensées parfois explosives. Le tout se percute sur un fond de révolution médiatisée. Drôle de printemps n’est donc pas seulement une pièce sur la révolution arabe, mais c’est aussi l’écho déformé des paroles d’un autre par le corps d’un autre. Le spectacle évolue dans une pudeur mouvante. La machine chorégraphique entraîne les vulnérabilités dans un ressac. Les corps et le texte se mêlent pour faire émerger les espoirs, les enjeux et les dérives de chacun.

– J’ai été à la manif. Il y avait un muet qui manifestait avec des signes de la main et un pauvre gars qui répétait toujours le même mot : « rêve, rêve, rêve, rêve ». 

– C’est peut-être de ma faute si je suis bègue ? Je voulais crier « Révolution ! » mais avec ce mot là ça fait beaucoup de lettres à la fois.

extrait de Drôle de printemps, Youssouf Amine Elalamy
Mise en scène : Youssra Mansar
Texte : Youssouf Amine Elalamy